ISSN: 1705-6411
Volume 8, Number 1 (January 2011)
Author: Florian Vauleon


Nombre de critiques ont été déconcertés par l’aventure américaine de Baudrillard. Si certains se sont offusqués de sa naïveté, que d’autres se soient désolés de ses conclusions, et que d’autres encore se soient noyés dans son style poétique, Baudrillard reconnaît pourtant n’avoir produit rien d’autre qu’une fantasmagorie métaphysique. Accusé de faire preuve d’un stéréotype insolent et de présenter une vision déformée des  États-Unis, Baudrillard livre toutefois une œuvre qui ne laisse pas insensible. C’est un examen de surface qu’entreprend Baudrillard dans son roman. Il ne se consacre qu’à l’étude sémiologique des Etats-Unis et se démarque de toute approche sociologique. Cette fantaisie est avant tout allégorique. Loin de n’être qu’un univers aride et hostile, le désert est élevé au rang de concept que Baudrillard parvient tout d’abord a décelé dans les métropoles, puis dans l’identité et enfin dans l’imaginaire américains. Il s’agira dans cette étude de distinguer le fantasme de la réflexion métaphysique et de montrer que l’Amérique de Baudrillard ne se réduit pas à un vide métaphysique né de contrevérités mais, au contraire, qu’elle traduit le désert du sens, du réel et qu’en évoquant enfin la suprématie de la culture, elle expose la fin du clivage Nature/Culture et la mort de la raison en tant que recherche personnelle et utopique du vrai.

Baudrillard n’a d’autre but que de comprendre “jusqu’où peut-on avancer dans la forme désertique irréférentielle sans craquer” (1985:15). Il ne conçoit les Etats-Unis qu’en objet théorique. Tout au long de son périple, le désert le fascine et guide sa réflexion. Son expérience américaine le mène à considérer les villes comme des entités sauvages, des organisations humaines vides de sens. À la différence des villes européennes où il peut voir “tous les signes de la scène publique,” la ville américaine est dépourvue d’unité sociale, d’effort collectif. Pour Baudrillard, c’est une jungle qui a instauré la violence “comme mode de vie” (Ibid.:23). La déficience de pouvoir public, c’est la pénurie de sens, de finalité collective. C’est la première manifestation du désert américain, étrangement survenue à l’auteur alors qu’il visite les rues de New York et de Los Angeles. Baudrillard rapproche ensuite la vision du désert à la discipline que s’impose les Américains pour tendre vers leurs idéaux culturels, sexuels et politiques. Ce serait l’ascèse extatique, le désir d’idéal qui engendrerait la désertification mentale aux Etats-Unis (Ibid.:32). Il est compréhensible que de nombreux érudits américains l’aient accusé d’anti-américanisme et de sociocentrisme, et se soient sentis calomniés lorsque leur culture est qualifiée de “seule société primitive actuelle” (Ibid.:13). Bien qu’il démente toute approche sociologique, Baudrillard ne se prive pourtant pas d’intensifier sa critique sociale et parle de désertification des émotions et de la compassion. Aux Etats-Unis, selon lui, on délaisse, on exclut ceux qui ne participent pas à l’effort ascétique, ceux qui ne partagent pas les mêmes aspirations du rêve américain. C’est le désintérêt total des pauvres, des mendiants, de tous ceux qui n’intègrent pas la dynamique d’idéal.

Toujours aux Etats-Unis, l’imaginaire serait devenu matériel. L’utopie est réalisée, “que ceux qui n’y ont pas part disparaissent” (Ibid.:109). Alors que l’utopie relève de l’imagination et désigne une réalité qui n’existe, l’utopie réalisée, par extension de sens, c’est une réalité imaginaire, terme paradoxal qui réfère à l’hyperrealité de Baudrillard. L’Amérique de Baudrillard est une gigantesque entreprise d’exclusion, “elle est l’héritière des déserts” (Ibid.:63). Sûre d’elle et de ses valeurs, elle se désintéresse totalement de son passé, de ses pauvres et de ses échecs. C’est la tyrannie de l’idéal où le bonheur est un mode de vie, un modèle qu’il faut suivre à tout prix pour ne pas encourir le risque de disparaître. C’est une illusion collective, une conception du paradis qui en exclut définitivement tous ceux qui n’en partagent pas le projet. Il faut se joindre à la course au bonheur, à la frénésie dépensière, c’est le paradis capitaliste où la réalité naît de la croyance, ou encore de l’illusion, collective.

Mais étonnamment, la pensée du philosophe s’étend au-delà des frontières américaines pour englober l’ensemble de la civilisation moderne. Il considère que ce sont “des pays entiers du Tiers-monde [qui] tombent dans cette zone désertifiée du Quatrième Monde” (Ibid.:109). C’est le nouveau désert intérieur, celui de l’imaginaire, de l’indifférence et du détachement poussé à son extrême: “Il est le résultat du désintéressement politique de nos sociétés, du désintéressement social de nos sociétés avancées, de l’excommunication qui frappe justement les sociétés de communication” (Ibid.:110). La société moderne exclut tous ceux qui n’intègrent pas la volonté ascétique et l’entreprise collective de réalisation d’un idéal. Les pauvres n’existent plus, les Indiens, le Vietnam ont été oubliés (Ibid.:108). Cette indifférence générale, que Baudrillard appelle aussi utopie réalisée, ne se réduit pas à l’Amérique et c’est ici que se sont mépris tous ceux qui n’ont vu en Baudrillard qu’un anti-américanisme conventionnel. L’Amérique et ses déserts ne sont en fait que des supports philosophiques, ils acquièrent une dimension universelle, ils permettent à l’auteur de méditer sur sa contemporanéité.

Fidèle à son analyse de surface, Baudrillard s’intéresse au cinéma américain, cette surface plane qui offre tant de matériaux à la réflexion métaphysique. Le désert comme abstraction se retrouve dans la volonté de matérialiser la fiction. Nul besoin d’être philosophe pour apprécier le pouvoir des productions Hollywoodiennes à objectiver les images. Mais Baudrillard, lui, va au delà de cette banalité. Il étudie la faculté du cinéma à présenter et à transformer la fiction en vérité. La morale ascétique, avide de vérité, se tourne vers le cinéma, la forme de simulacre la plus efficace. Comme Deleuze le reconnaît, “le cinéma est devenu le producteur de vérité: ce ne sera pas un cinéma de la vérité, mais la vérité du cinéma” (Deleuze,  1985:187). L’identité américaine est générée par les images et les discours cinématographiques. Le cinéma est non seulement la référence absolue, il devient la représentation du vrai: “parce que c’est tout l’espace, tout le mode de vie qui sont cinématographiques” (Baudrillard, 1985:98). Le cinéma est partout, il a tout absorbé. Son pouvoir ne se limite pas à la représentation d’un fait historique ou à la fabrication de vérités, le cinéma a ceci de dominateur qu’il a envahi l’espace américain. Au milieu les plaines arides du sud-est américain, le philosophe remarque qu’il parcourt “le désert comme un western” (Ibid.:57). C’est non seulement l’imaginaire, mais encore l’univers physique qui ont été assimilés et formatés par le cinéma. La nature n’est plus qu’une manifestation cinématique. Même “la vie est cinéma” (Ibid.:98). selon Baudrillard. La référence n’est plus la nature mais le cinéma, le factice. Pour être considérer vrai, il faut que cela puisse être reproduit, enregistré, montré.

L’Amérique n’est pour lui qu’un gigantesque simulacre à tel point qu’on “peut se demander si le monde lui-même n’existe qu’en fonction de la publicité qui peut en être faite dans un autre monde” (Ibid.:35). Baudrillard écrit que “tout est objet d’une seconde naissance, celle éternelle du simulacre” (Ibid.:44). Seule l’image devient réelle et seule la représentation assure l’authenticité. Baudrillard plonge dans le monde du simulacre, dans l’univers des apparences devenues identités où la représentation n’a plus une existence vague ou idéalisée, elle prend forme et se matérialise. Pour lui, “sans cette vidéo perpétuelle, rien n’a de sens aujourd’hui” (Ibid.:40). La réalité est créée et n’existe que par l’image, seule la reproductibilité à valeur de réel. Le cinéma est devenu producteur de certitude, d’histoire et dessine l’imaginaire des Américains autant que leur identité.

Baudrillard avance ensuite que la société moderne restreint de plus en plus en plus la relation du signe avec la réalité. Chaque signe, image, ou objet est devenu auto-référant. Le simulacre, c’est-à-dire une apparence qui se donne pour réalité, a envahi chaque élément de la culture, au point que celle-ci, selon lui, ne serait plus que “la perpétuité du simulacre” (Ibid.:63). Baudrillard s’inspire ouvertement des réflexions métaphysiques sur la réalité. Il étend les théories sémiologiques de Barthes pour qui “le mythe est une parole qui semble ne pas avoir d’émetteur véritable” (Barthes, 1957:80). Selon lui, l’image devient écriture dès qu’elle est significative. Barthes réactualise et étend les recherches de Saussure qui avait souligné l’arbitraire du lien entre signifiant et signifié et qui en avait déduit que cette simple association détache le langage de la réalité. Pour Barthes, le signe, c’est-à-dire l’association d’un concept et d’une image dans le système de Saussure, n’est que simple signifiant dans sa nouvelle structure. Ce deuxième système sémiologique est ce qu’il a appelé le mythe. L’image entre dans l’ordre du symbolique et le signifié devient vague et incertain. Dès lors le signifiant du mythe se présente de façon ambiguë: il est à la fois sens et forme. Cette ambiguïté, selon lui, participe à “l’évaporation du réel” (Ibid.:267). En affirmant que “les objets eux-mêmes pourront devenir parole s’ils signifient quelque chose,” (Ibid.:195). Barthes préfigure les théories de Baudrillard pour qui le désert lui-même devient signifiant et concept. Baudrillard développe les théories de son prédécesseur et affirme que l’Amérique est remplie des “déserts du trop de signification, du trop d’intention et de prétention de la culture” (Baudrillard, 1985:63). Tout comme Platon dans l’Allégorie de la caverne, Baudrillard présente une image pessimiste de l’homme, un homme vivant dans une illusion, dans un monde fait d’apparences et de faux-semblants où la prolifération des mythes a rendu toute définition du réel impossible. L’Amérique est devenue l’exemple parfait de l’hyperréalité. Baudrillard y voit “la culture comme mirage” (Ibid.). dont l’unique signification serait le désert, l’absence de sens: “le désert est partout et sauve l’insignifiance” (Ibid.:13). En Amérique, Baudrillard ne perçoit que le désert de la signification et la suprématie de la culture, mais qu’en est-il de la nature, ou tout du moins de son concept ? Quels sont les effets de la toute-puissance culturelle sur l’homme et sur son jugement?

L’état de nature correspond à une période de l’humanité que seule l’imagination peut reconstituer. La nature est ce que les philosophes de tout temps ont désigné comme contre point à la culture. La notion de nature réfère à la réalité matérielle comme indépendante de l’activité et de l’histoire. Depuis l’Antiquité, elle sert de référence à la philosophie pour déceler et dénoncer les travers de la société ou les perversions des comportements humains. Ce que Baudrillard avance est que ce concept est mort, et que la culture est désormais son propre référent. Il affirme que l’opposition nature/culture est complètement étrangère à la civilisation américaine: “L’histoire comme transcendance d’une raison sociale et politique, comme vision dialectique et conflictuelle des sociétés, ce concept-là n’est pas le leur” (Ibid.:80). L’Amérique est “la société primitive de l’avenir” (Ibid.:13) sans passé pour problématiser son présent, pour réfléchir sur ce qu’elle est: “Pour n’avoir pas connu d’accumulation lente et séculaire du principe de vérité, elle vit dans la simulation perpétuelle, dans l’actualité perpétuelle des signes” (Ibid.:76). Sans le concept de nature, la notion de vérité est inexistante. Baudrillard dépasse le désert américain pour atteindre le désert du signe. En dénonçant le “trop de signification de la culture,” (Ibid.:63) il présente les Etats-Unis comme le degré zéro de la culture: L’Amérique “exorcise la question de l’origine […], elle n’a pas de passé ni de vérité fondatrice […]. Elle vit dans l’actualité perpétuelle […]. Elle n’a pas de problème d’identité. […] C’est l’utopie réalisée” (Ibid.:76). Il ajoute que “notre conception de la liberté ne pourra jamais rivaliser avec la leur, spatiale et mobile, qui découle du fait qu’ils se sont un jour affranchis de cette centralité historique” (Ibid.:80). Plus loin, il tire cette conclusion: “Les États-Unis sont un paradis,” (Ibid.:96) une société où le doute n’est pas admis et qui ne peut jamais se remettre en cause. “Pas de désir: le désert” (Ibid.:119): c’est le degré zéro de la culture, car même le désir, qui s’oppose classiquement au besoin, est ici inhérent à la nature humaine, il se fait naturel. Umberto Eco, discutant de la perversion des parcs d’attraction et de la technologie du divertissement aux Etats-Unis, affirme qu’ils ne produisent pas seulement l’illusion, mais – en la proclamant – stimulent le désir d’illusion (Eco,  1986:203).

Pour lui, la cause principale de cette corruption des valeurs est que la technologie peut nous apporter plus de réalité que la nature (Ibid). Le désir devient un mode de vie, une attitude innée, façonnée par les signes, les images et par la société moderne elle-même. La culture ne détermine plus les artifices, les faux-semblants ou les créations de la société. Aux Etats-Unis, tout est culturel, tout est apparence: “la culture est authentique” (Baudrillard, 1985:98).

Dans les dernières pages de son livre Baudrillard dévoile la portée métaphorique de l’allégorie du désert :

Il n’est que de voir Las Vegas, sublime Las Vegas, surgir tout entière du désert, dans ses lumières phosphorescentes, à la tombée du jour, et retourner, après avoir épuisé toute la nuit son immense énergie superficielle, plus intense encore aux lueurs de l’aube, pour saisir le secret du désert et de ce que y fait y signe: une discontinuité enchanteresse, un rayonnement total et intermittent (Ibid.).

Le concept de nature est ici montré à l’état de désert, il est contrasté à la civilisation américaine. La culture américaine serait primitive, elle se réinventerait, se régénèrerait tous les jours sans aucune référence à la nature. Baudrillard affirme que “le désert est une extension du silence intérieur du corps” (Ibid.:68). Le désert ne signifie rien, il n’exprime rien: c’est la réalité brute qu’il oppose au trop-plein de signification de la société moderne. Si la réalité continue d’exister, c’est son principe qui serait mort. En devenant authentique, la culture condamne à mort le réel et le principe même de réalité. C’est en ce sens que Baudrillard affirme que la culture est devenue un mirage et que la société américaine vit dans un “simulacre perpétuel” (Ibid. :63). Las Vegas, sous la plume du philosophe, devient le microcosme de la civilisation américaine et du monde moderne: “L’Amérique est le miroir de notre décadence” (Ibid.:101).

Alors qu’il traverse le désert en voiture et que se dessine Las Vegas à l’horizon, il voit le désert dans son rétroviseur. Ce désert symbolise l’insignifiance du passé et l’agonie de l’authentique. Le désert est ce qu’il reste du réel, tandis que Las Vegas n’est autre qu’un mirage, une oasis artificielle, une réplique du réel: ce que Baudrillard appelle l’hyperréel. Dans les premières pages de son livre, il admet chercher “la catastrophe future et révolue du social dans la géologie” (Ibid.:10). Le désert, qu’il oppose à Las Vegas, est une réflexion sur la société moderne dans son ensemble. Pour Baudrillard le concept de nature est aujourd’hui réduit à l’état de désert. L’Amérique a remplacé l’histoire et la culture par une hyperrealité de simulation perpétuelle. En se déconnectant de toute réalité, la société moderne a transformé le désir en besoin. Ainsi l’artificiel et la fiction sont désormais authentiques alors qu’au contraire tout comportement devient fictionnel puisque, comme Baudrillard le relève justement, “il est outrepassement de l’imaginaire dans le réel” (Ibid.:93).

Selon la perspective de Baudrillard, le monde des années 80, ne s’interrogerait plus sur la vérité, il la fabriquerait. C’est un monde “qui ne cherche pas à se donner un sens ou une identité,” (Ibid.:96) tout doit “présenter des signes acceptables de crédibilité” (Ibid.:106). La seule référence est l’image, c’est elle qui guide le jugement. L’Amérique productrice de vérité, où règne l’ascèse extatique, a non seulement idéalisé le concept de vérité mais a encore voulu le matérialiser. Or, “l’idéal du vrai est la plus profonde illusion” (Deleuze, 1985:195). L’Europe et plus précisément la France sont le fruit de siècles de réflexions métaphysiques sur la valeur du vrai et le pouvoir des apparences. De Montaigne à Foucault, la métaphysique a façonné la société et ses institutions. Les philosophes des Lumières ont instauré un type d’interrogation qui problématise à la fois le rapport au présent, le mode d’être historique, et la constitution de soi-même comme sujet autonome. Pour Baudrillard, ce système d’interrogation est arrivé à son terme. Si l’Amérique et sa morale ascétique ont matérialisé les idéaux du dix-huitième siècle et que la société vive dans une croyance au progrès, elle n’a cependant aucun rapport réflexif au présent. Elle réécrirait son histoire en permanence. Elle serait perdue dans un délire ascétique qui l’aveuglerait et qui interdirait toute constitution du sujet de façon autonome. L’individu n’éprouve que le désir, le désir d’acheter, de consommer et d’acheter à nouveau: “Ce qui est falsifié, c’est notre volonté d’acheter que nous prenons pour réelle” (Eco, 1986:202). Malgré son monde de paillettes, de simulacres étincelants et de jeux de lumière incessants, Las Vegas a ceci de paradoxal qu’elle plonge l’humanité dans l’obscurantisme. Las Vegas, en tant que symbole de la société moderne, est la mort du réel et du principe de réalité. Seuls les faux-semblants et les illusions habitent cette ville où l’apparence occupe la fonction du réel. Toutes les illusions de l’homme, de l’identité américaine, tous les artifices et toutes les manipulations de la société capitaliste se résumeraient au désert. Le désert, c’est la mort de la raison en tant que recherche personnelle et utopique du vrai. Horkheimer et Adorno ont depuis longtemps découvert que notre volonté est façonnée par notre environnement: “Ce qui pourrait résister au contrôle central a déjà été réprimé par le contrôle de la conscience individuelle” (Horkheimer and Adorno, 2004:1242). Pour Baudrillard, l’Amérique est avant tout le reflet du capitalisme, un système qui fabrique le vrai, qui l’offre en prêt-à-penser à l’ensemble de ses constituants et qui matérialise l’utopie de vérité.

Dès lors, dans l’Amérique, le désert est la métaphore dont le philosophe se sert pour dépeindre une société où il n’est nulle question de liberté mais de sujétion, où la tyrannie de l’imaginaire ne laisserait aucune place à la dissension et où la vérité serait formatée et dénuée de sens. Celle-ci ne serait plus le fruit d’un travail raisonné, elle n’exigerait plus aucune activité intellectuelle puisqu’elle appartiendrait au domaine du ressenti. La démarche de Baudrillard, loin d’être poétique, se fait au contraire cartésienne. Souvent considéré comme le gourou du postmodernisme, il adopte une approche paradoxalement moderne. Sa logique est celle de la recherche de la vérité. Baudrillard révèle un monde de simulacres où la représentation est devenue autonome. Il accuse la société moderne de n’être qu’un monde d’apparences, de faux-semblants, où la vérité n’existe que lorsqu’elle peut être reproduite. Il dénonce le pouvoir des images, leur faculté à définir le vrai et se fait l’héritier direct de la pensée française. Son discours rappelle celui de la Rochefoucauld ou de Pascal, qui dès le dix-septième siècle, dénonçait les masques et les trompe-l’œil de la société. Baudrillard a ceci de novateur, et peut-être de postmoderne, qu’il adapte l’héritage de la pensée à la société du vingtième siècle. Sa réflexion, bien que poétique et quelques fois énigmatique, dévoile la corruption de la raison, le pouvoir de la représentation, de même que les obstacles qui obstruent le chemin de la vérité. Baudrillard montre avec force l’assujettissement de l’homme moderne et, loin de faire preuve d’anti-américanisme primaire, se sert de son expérience américaine pour exposer les mécanismes de cet assujettissement.


About the Author
Florian Vauleon is from the Department of Modern Languages and Literatures, Stetson University, DeLand, Florida, USA


References

Roland Barthes (1957). Mythologies. Paris: Editions du Seuil.

Jean Baudrillard (1985). L’Amérique. Paris: Grasset.

Gilles Deleuze (1985). L’Image Temps. Cinéma 2. Paris: Les Editions de Minuit.

Umberto Eco (1986). Travels in Hyperreality. New York: Harcourt Brace Jovanovich Publishers.

Marx Horkheimer and Theodor Adorno (2004). “The Culture Industry as Mass Deception”  in Julie Rivkin and Michael Ryan (Editors), Literary Theory: An Anthology. Malden: Blackwell Publishing.